Transcription de la vidéo du webinaire « Comment accueillir un patient sourd ou malentendant? »
- Stéphanie Baz :
- Bonjour à tous. Bienvenue à ce nouveau webinaire organisé par l’association Coactis Santé sur l’accueil du patient sourd ou malentendant. Je vous remercie de votre intérêt et de vos inscriptions. Vous avez été 2 000 à vous inscrire, nous vous en remercions. Ce webinaire durera 1h, il est sous-titré et traduit en langue des signes française. Vous pouvez poser vos questions tout au long du webinaire sur le Chat, on vous répondra à la fin du webinaire.
Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont travaillé à la réalisation de ce webinaire, merci aux intervenants, à nos experts que je vais présenter tout de suite et qui vont assurer cette présentation.
Tout d’abord, le docteur Benoît Mongourdin, vous êtes médecin généraliste, vous avez 15 ans de pratique dans un quartier populaire, vous êtes expert sur le sujet, vous êtes ancien responsable du centre relais des appels urgents 114.
Madame Sylvie Raia, vous êtes intermédiatrice au sein du CHU de Grenoble, ancienne aide-soignante diplômée, vous êtes engagée au quotidien pour encourager le changement de regard sur les personnes sourdes.
Enfin Bénédicte André, vous êtes la cheffe de service du réseau INFOSENS que vous allez nous présenter.
Je tiens à remercier tous les experts qui ont travaillé à nos côtés ainsi que toutes les structures qui ont contribué aux ressources que nous proposons au sein de Coactis Santé. J’aimerais vous parler rapidement de notre association et vous parler de deux chiffres très importants qui ont fait que nous avons choisi ce thème aujourd’hui, à savoir l’accueil des patients sourds ou malentendants. Ce n’est pas facile pour tous les professionnels de santé tant cette communauté sourde est diverse et le manque d’outils est palpable. Le manque de formation et de moyens également. On estime à environ 7 millions le nombre de personnes sourdes ou malentendantes en France. C’est un chiffre qui se retrouvera sur nos fiches HandiConnect, on estime que 6 % des 15 à 24 ans sont affectés par une surdité.
Coactis Santé est une association qui agit pour améliorer l’accès à la santé et aux soins des personnes en situation de handicap. Nous avons deux solutions, les SantéBD et le site HandiConnect.fr pour les professionnels de santé. SantéBD, ce sont des bandes dessinées qui permettent de prévenir, de préparer un examen, les BD vous en avez plus de 80, elles sont personnalisables, elles permettent de prévenir la peur, l’anxiété au moment du rendez-vous. Ça permet à tous de s’exprimer, de comprendre ce qui va arriver pour le patient et de pouvoir communiquer en fonction des thèmes choisis entre le patient et le professionnel de santé. SantéBD propose également 20 000 dessins que vous pourrez retrouver, nous reviendrons dessus en fin de webinaire.
La deuxième solution proposée, c’est le site HandiConnect.fr. C’est un site qui permet d’outiller les professionnels de santé, de leur donner des conseil, de répertorier les formations et de leur donner telle ou telle expertise sur tel ou tel handicap. Nous avons 5 fiches sur le handicap auditif. Ce sont des fiches que je vous conseille de consulter avant, pendant ou après une consultation. Ce sont des fiches synthétiques avec des conseils, les bons moyens de communiquer avec les personnes sourdes ou malentendantes. Il y a aussi 60 autres handicaps possibles. Vous avez aussi la fiche sur la téléconsultation qui peut servir avec un patient sourd ou malentendant. Et vous avez la fiche sur les personnes handicapées vieillissantes qui parle des moyens de communication face à une personne sourde ou malentendante.
Voilà pour une présentation rapide des outils de l’association Coactis Santé. Je vais proposer à Bénédicte André de partager son écran et de vous présenter INFOSENS.
- Bénédicte André :
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Bonjour, vous m’entendez bien ? Merci pour l’invitation. Je remercie Coactis pour cette invitation.
INFOSENS c’est un service public intégré en 2020 à l’initiative de l’INJS de Paris avec l’ensemble de tous les partenaires que vous voyez à l’écran. C’est un réseau d’appui pour accompagner les personnes sourdes ou malentendantes et faciliter les parcours de vie. Pour cela, on peut accompagner ces personnes à travers des documents comme des fiches en FALC, facile à lire et à comprendre. On fait aussi des formations au grand public à travers des sensibilisations pour faciliter l’accessibilité, ça peut être des colloques, des forums, des rédactions d’articles.
On va commencer par des chiffres pour que vous compreniez en quoi cela consiste la surdité et comment mieux accueillir un patient sourd. Un Français sur deux ne pense pas à se faire dépister sur l’audition. Parfois, on a des soucis comme les acouphènes, souvent on attend trop tard. Tout à l’heure Coactis a montré le chiffre de 7 millions de personnes sourdes ou malentendantes en France, c’est conséquent. Un Français sur 4 a des problèmes d’audition, c’est une part importante de la population.
Là, c’est pour montrer qu’il y a différentes trajectoires, différents profils de surdité en France. On peut parler avec un patient sourd ou un patient malentendant. Donc, la classification médicale, ce n’est pas forcément une classification médicale, c’est en fonction des choix personnels de la personne sourde ou malentendante, si elle porte des appareils ou pas. Rapidement, en quoi cela consiste la surdité ? C’est la diminution de la capacité à percevoir les sons, c’est-à-dire que vous entendez moins bien. Quels sont les signes d’alertes ? Peut-être que vous ne percevez plus des sons aigus ou que vous entendez moins bien. Cela peut résulter de processus différentes, la surdité de perception ou de transmission. Le son rentre dans l’oreille, la surdité de transmission c’est une incapacité de l’oreille externe à conduire le son vers l’oreille interne. La surdité de perception, c’est la capacité de l’oreille interne de transformer les sons sous forme d’onde sonore en impulsion nerveuse pour le cerveau. C’est-à-dire que peut-être que le nerf auditif au sein du cerveau ne peut pas transmettre le son au cerveau. C’est très généraliste. En général, c’est soit surdité de transmission ou de perception. Les causes possibles d’une perte auditive sont nombreuses. On peut être sourd de naissance ou devenir sourd au cours de la vie. Dans les 7 millions de personnes, ce sont plutôt des personnes qui deviennent sourdes au cours de la vie.
La surdité liée au vieillissement de l’oreille est la première cause de surdité en France. Les cellules ciliés ne peuvent pas se régénérer. Ça peut être à cause d’une affection ou de maladies, des traumatismes, des chocs ou une exposition forte et prolongée à des ambiances sonores trop fortes.
Pour la surdité de naissance, quand on est sourd de naissance, ça peut être génétique, c’est-à-dire on a des gènes qui sont porteurs de surdité ou une malformation de l’oreille ou bien des affections au moment de la grossesse. 1 bébé sur 1000 nait sourd, c’est une minorité.
Vous connaissez sûrement cette classification médicale, c’est pour montrer comment on évalue le bruit. Ça permet de classifier les sons au plus grave et au plus aigu. L’oreille humaine peut entendre entre 20 000 Hz. On peut évaluer en intensité avec les décibels, là on peut être sourd profond ou sévère. Cette classification dépend de la personne, si elle porte des appareils ou pas, si on peut suivre une conversation ou pas. Ce test se fait chez un spécialiste de l’audition pour évaluer et ajuster en fonction des appareils. Il faut penser aussi au mode de communication que vous pouvez rencontrer quand vous allez recevoir un patient sourd lors d’une consultation. Est-ce que cette personne s’exprime à l’oral ou utilise la langue française parlée complétée ou bien la langue des signes ? L’oralisme, c’est le premier moyen de communication, le plus utilisé chez les personnes sourdes ou malentendantes. Car, comme je l’ai dit tout à l’heure, quand les personnes deviennent sourdes au cours de la vie, elles ne vont peut-être pas apprendre la langue des signes ou la LPC. Ce qui pose problème, c’est quand on porte un masque, on n’a plus accès à la lecture labiale. Il faut être vigilant avec les personnes qui ont perdu l’audition pour utiliser la lecture labiale. La LPC ou la langue des signes, c’est souvent pour les sourds de naissance. La LPC, c’est un mode de communication pour clarifier l’information tandis que la langue des signes c’est une langue à part entière avec son propre vocabulaire. Là, on peut faire appel aux interprètes. Un patient qui utilise la langue des signes, monsieur Mongourdin va l’expliquer tout à l’heure.
On peut porter des appareils. Une personne oraliste peut préférer ne pas porter d’appareils.
A gauche, on a l’appareil auditif, ou les implants cochléaires préconisés pour les personnes sourdes profondes. Cela nécessite une opération chirurgicale, c’est très courant, ça se fait en ambulatoire. 3 millions de personnes atteintes de déficience auditive devraient être appareillées, pourtant, on a la loi 100 % santé depuis 2021 qui permet un appareillage de qualité et aussi on peut demander à l’AGEFIPH pour faire un financement pour pallier le coût des appareils. Les ressources, si vous êtes en recherche d’interprètes ou de professionnels qui savent accueillir des patients sourds, vous pouvez rechercher la carte interactive. Je voulais terminer ma présentation sur l’enquête INFOSENS réalisée en 2023.On a fait une double en quête entre les patients sourds et les professionnels de santé. On a eu 185 patients sourds et 240 professionnels de santé. On a voulu voir s’il y avait eu un renoncement pour se faire soigner par un médecin ou un professionnel de santé et si les professionnels de santé disposaient de toutes les informations pour recevoir un patient sourd. Parmi les professionnels de santé, c’était toutes les professionnels, les personnes paramédicales, administratives qui sont réparties sur tout le territoire national.
12 % des personnels médicaux déclarent avoir reçu des patients sourds. Parmi les patients sourds, 21 % renonçaient à se faire soigner.
8 % des personnels connaissaient la langue des signes. L’enquête révèle qu’une minorité des patients se présente toujours accompagnée pour les rendez-vous, par un proche, un interprète ou un spécialiste de l’audition.
Je voulais aussi vous communiquer sur les modalités d’accueil de soins pour les sourds.
Le chiffre est quand même surprenant, 73 % des répondants ne connaissent pas ces unités de soin. Pourtant, ces unités permettent d’offrir des prestations de soins égales à celles reçues par un patient entendant. Ça veut dire qu’on a seulement 1/3 des médecins qui connaissent ces unités.
Pour finir, presque 83 % du personnel médical souhaite être sensibilisé à la communication avec les personnes sourdes ou malentendantes. Même s’ils connaissent les problèmes d’auditions, ils sont souvent démunis dans la communication. On voulait savoir s’ils connaissaient des outils comme les BD Santé. Les professionnels de santé ne connaissaient pas forcément les outils. Ce qui est important, c’est la communication, la sensibilisation auprès des professionnels de santé pour permettre un meilleur accès à la santé. Ce n’est pas normal que toujours maintenant 21 % des personnes renoncent à se faire soigner.
Merci beaucoup. - Stéphanie Baz :
- Merci beaucoup Bénédicte, c’était très instructif. C’est pour pallier ce manque de formation et d’information et pour éviter tout renoncement au soin que nous proposons ce webinaire aujourd’hui. Tout ce que vous avez présenté sera dans un document de ressource que nous enverrons à tous les inscrits dans quelques jours. Sans plus attendre, je passe la parole au Docteur Mongourdin et à Sylvie Raia pour votre présentation.
- Benoît Mongourdin :
- Bonjour, ravi d’être là, Sylvie aussi. On va parler accès aux soins des sourds. On ne va pas parler de la surdité ou de l’audition mais des méthodes pour que les sourds aient accès à des soins de qualité. Peut-on soigner les sourds sans leur langue ? C’est une véritable question.
Rapidement, on va évoquer la question de l’exclusion des soins, la langue des signes, les langues des signes, on va parler des Unités d’accueil et de soin aussi, les représentations des professionnels qui sont des fausses représentations concernant les sourds et en pratique comment faire quand on est en cabinet en ville.
Alors, l’exclusion de soin des sourds, c’est un problème de santé publique qui était méconnu jusqu’à très récemment puisque c’est à l’occasion de la création du premier lieu de soin en langue des signes à Paris à la Pitié-Salpêtrière qu’on a vu émerger un afflux énorme de patients avec des problématiques de santé diverses. On s’est rendu compte que les sourds étaient mal soignés en France. Ça a été un bouleversement de découvrir qu’une question de santé qu’on pensait liée à l’audition était lié à une question de langue et de culture. - Sylvie Raia :
- Donc les unités, pour revenir à l’histoire des personnes sourdes, ça a commencé avec le Congrès de Milan en 1880 où il a été décidé qu’on devait se concentrer sur l’audition et l’oralisation, ça a duré plus de 100 ans. On a commencé à voir la langue comme un mode de communication alors que ce n’est pas le cas.
Et donc en fait, c’est une vraie langue avec sa propre syntaxe, son vocabulaire, sa grammaire. C’est une langue très riche. Ce n’est pas juste une traduction où on met des signes sur du français, il y a une structure qui lui est propre avec un plus fort impact du visuel. C’est une langue qui est en trois dimensions et qui a une conceptualisation qui lui est propre en lien avec la spatialisation de la langue.
C’est une langue vivante, le français évolue et la langue des signes aussi évolue au jour le jour. Pour les enfants, quand la langue des signes est leur langue première, ça leur donne aussi une identité, sans cela, ils rencontrent des blocages. Dans des situations où il y a des problèmes de communication, il est possible de se comprendre grâce à des conicités. - Benoît Mongourdin :
- Alors, en fait ce qui a été posé, avec cette question de l’accès aux soins des sourds, c’est une approche qui était culturelle et pas du tout auditive. La question, ce n’était pas comment entend le patient, ce qu’il entend mais dans quelle langue les soins vont se dérouler ?
Deux petites citations, une de Victor Hugo qui a écrit : Qu’importe la surdité de l’oreille quand l’esprit entend. Qu’est-ce qu’on veut dire quand on veut dire que quelqu’un entend ? Il entend avec ses oreilles ou avec son cerveau, son esprit ?
Et puis une phrase de Bernard Mottez qui est un sociologue, il dit que la surdité est un rapport. Nous, on ne se définit pas comme des entendants, on se définit comme entendants par rapport aux sourds. Mais la surdité, être sourd ça ne veut rien dire en soi, c’est un rapport social. Il y a deux piliers sur les outils d’accès aux soins qui ont été mis en place, le premier c’est le transfert de l’exigence linguistique. C’est-à-dire que c’est au dispositif d’utiliser la langue dans laquelle le patient est le plus à l’aise. Ce n’est pas parce que mon patient peut oraliser qu’on va oraliser. Si le patient dans cette situation de soin est plus à l’aise en langue des signes, il faut utiliser la langue des signes. Ça veut dire avoir ou proposer un niveau linguistique très élevé qui correspond à 350h de formation plus une pratique quotidienne. Ça veut dire être capable de faire son métier aussi bien en langue des signes qu’en français, donc accompagner une femme sur un dépistage prénatal de trisomie par exemple, de le faire en langue des signes. C’est un transfert de l’exigence qui repose sur le soignant. Et le deuxième pilier, c’est une approche et une prise en compte culturelle de ce que vivent les sourds. - Sylvie Raia :
- Donc la culture sourde, elle est en lien avec le vécu. C’est vrai que c’est régulièrement à la population sourde de s’adapter à la norme entendante. Les entendants définissent ce que c’est que les sourds par le fait qu’ils n’entendent pas. Aussi par rapport à l’histoire, il y a eu le déni de langue et ensuite la prise de conscience. Ce que je vous disais par rapport au congrès de Milan en 1880 et l’interdiction de la langue des signes, ça a eu pour conséquence une dévalorisation de la langue et un déni de compétences pour certaines personnes sourdes. On les envoyait régulièrement par le passé dans des formations de menuiserie, de couture. On a aussi l’image qu’à partir du moment où un sourd peut parler, il peut comprendre. Il y a une différence entre pouvoir communiquer de façon efficace et pouvoir oraliser. Ça a eu pour conséquence de mettre en place un phénomène d’assistanat auprès des sourds.
- Benoît Mongourdin :
- Alors, qu’est-ce que c’est que les Unités d’accueil et de soins pour les sourds ? Ce sont des équipes composées de professionnels sourds et de professionnels entendants. Être sourd, c’est une plus-value dans les équipes qui s’adressent au public sourd. On a des médecins, des psychologue, des diététiciens, d’autres professionnels de santé. On a une offre de services et ce qui est important c’est que dans les équipes la langue de travail est la langue des signes. Par exemple les réunions se font en langue des signes.
C’est la première chose. Et après, on a d’autres professionnels qui sont dédiés à la communication qui sont des aide-professionnels à la communication qui sont des interprètes et des médiateurs qui travaillent en général en mobilité, c’est-à-dire qu’ils interviennent dans les différents services de soin de l’hôpital pour accompagner les patients et les professionnels pour que les patients puissent être patient comme n’importe qui et que les médecins fassent leur métier comme avec n’importe quel patient. C’est une accessibilité pour les patients et pour les professionnels. Alors, les interprètes, souvent ce sont des aidants, des gens qui ont la même langue. Là on parle d’interprètes diplômés, ce sont des gens qui ont suivi une formation, un bac+5, ils sont liés à une déontologie très stricte de fidélité, d’exhaustivité et de neutralité, c’est-à-dire que si quelqu’un est en colère, l’interprète se montrera en colère. C’est une traduction qui est simultanée comme vous le voyez à l’écran, nous avons deux interprètes qui se relaient et qui traduisent au fil de ce qui se dit. C’est une traduction simultanée, ça ne se marche pas sur les pieds, il y a une langue sonore et une langue visuelle. Et il n’intervient pas dans les échanges. On parle de fidélité, exhaustivité et neutralité, c’est irremplaçable, par exemple dans une consultation, quand on a un patient sourd, on peut dire « peut-on demander à ne pas traduire ce que je vais dire car c’est un peu délicat », l’interprète va dire la même chose. Ils garantissent une traduction fidèle.
Le deuxième pilier, je te passe la parole Sylvie, c’est un pilier culturel. - Sylvie Raia :
- Ces professionnels ce sont les intermédiateurs, ils travaillent en binôme avec les interprètes ou un professionnel signant. C’est un peu le rôle d’expert.
Au sein de la société, il y a une minorité sourde, vu que c’est un professionnel sourd, c’est la même langue, ils peuvent se comprendre beaucoup plus facilement. Le fait de se comprendre, ça veut dire qu’obligatoirement une personne sourde sera-t-elle compétente dans ce rôle ? Non, il y a une formation diplômante. C’est un professionnel qui va servir de référent. Les entendants aussi ont besoin de l’intermédiateur car ils ne connaissent rien à la culture sourde, donc pour se caler avec le patient sourd. Et l’intermédiateur va redonner sa place de patient au patient sourd. Ça évite le choc des cultures. - Benoît Mongourdin :
- Alors, les fausses représentations, on a tous des représentations, ça nous aide quand on va rencontrer quelqu’un qu’on ne connaît pas. Par exemple je monte dans le tram, quelqu’un est en débardeur, il est tatoué de partout, je ne vais pas m’approcher de ce type de personnage, c’est quelqu’un qui évoque de la violence, mais si ça se trouve, c’est quelqu’un qui travaille au ministère, qui est adorable, cultivé. Mais ma représentation est celle-ci. Inversement, je vois une petite dame en imperméable beige, elle attend pour traverser, je vais l’aider. Mais si ça se trouve, elle a une lame de rasoir dans la main, elle attend que quelqu’un s’approche. Pour les sourds, on a ce type de représentation aussi. Prises une à une, toutes les représentations qu’on a des sourds s’avèrent fausses dans la réalité. C’est-à-dire que le sourd écrit, donc je vais pouvoir écrire. On voit beaucoup de médecins qui écrivent sur le papier, le patient répond, on communique par le papier mais ce qu’on ne sait pas c’est que près de 80 % des sourds sont en grande difficulté avec le français écrit qui est source de malentendus qui peuvent parfois très drôles. A un moment, on avait la rumeur dans la communauté sourde qu’il ne fallait pas fumer la nuit, en fait c’était écrit « fumer nuit à la santé ».
Un sourd qui ne comprenait pas que son audience soit renvoyée en cours de cassation alors qu’il n’avait rien cassé par exemple.
Ou bien des sourds qui étaient séropositifs qui étaient très contents, ils avaient un sang positif. Un exemple de malentendu, je suis médecin, j’écris « tel médicament, après le repas » le patient a toutes les chances de prendre ses comprimés et après de prendre le repas. Donc l’écrit est la porte ouverte à tous les malentendus. - Sylvie Raia :
- Je reviens concernant l’exemple des comprimés, on pourrait se dire qu’il a juste à suivre le sens de lecture, en fin de compte en langue des signes la logique se voudrait dans le sens inverse, ce qui provoque le malentendu.
- Benoît Mongourdin :
- On a évoqué la question de la lecture labiale aussi tout à l’heure. Quelqu’un qui a un excellent niveau de français et qui a été formé à l’usage de la lecture labiale perçoit clairement un mot sur 3 en moyenne. Ça suffit pour une conversation courante mais il faut savoir que 2 mots sur 3, plus de 60 % de ce qui est émis, c’est de la suppléance mentale. Le patient qui parle bien, c’est un piège aussi.
- Sylvie Raia :
- Oui par exemple chapeau et jambon, en fin de compte l’image labiale est la même. Donc, très souvent la personne sourde va deviner mais il y a des situations où ça peut créer des malentendus, par exemple entre cadeau et gâteau ça peut être un piège, imaginez dans un contexte médical les conséquences que ça peut avoir.
- Benoît Mongourdin :
- Un patient va s’exprimer oralement correctement et nous dans nos représentations, on se dit qu’il va entendre à la hauteur de la qualité de sa vocalisation et si je me retourne par exemple il va perdre la lecture labiale. C’est très piégeant, c’est pourquoi les sourds essaient de ne pas oraliser quand il y a des enjeux. Ils portent des appareils, ça ne préjuge de rien. Il y a des sourds profonds qui n’entendent pas la voix et qui portent des appareils pour se repérer, entendre une porte qui claque par exemple. Le port de l’appareil ne veut pas dire que je peux utiliser la voix.
Et il est accompagné, c’est le piège majeur. 95% des parents entendants d’enfants sourds ne parlent pas la langue des signes. Il y a un code gestuel qui se met en place à la maison mais ce n’est pas de la langue des signes, on n’a aucune garantie de traduction. On ne sait pas qui est l’accompagnant, c’est un proche, un parent, un frère, une sœur. On a des patients qui nous ont dit qu’on avait évité de leur traduire ce qui risquait de les désavantager chez les notaires par exemple. Et puis on se fait tous avoir, on a tous eu des adultes qui ont des langues étrangères avec des enfants qui viennent avec la maman chez le médecin et qui traduisent pour les parents. Nous les soignants, on est tellement attiré par une langue qu’on peut comprendre qu’on en oublie qui est l’accompagnant. On était allé rencontrer une équipe pédiatrique dans une grande ville à l’issue d’une situation avec un interprète, un intermédiateur sourd, etc., une personne nous a dit que c’était dommage qu’on n’ait pas pu intervenir avant, ils avaient un enfant sourd qui venait donner un coup de main pour communiquer, c’est l’enfant qui traduisait pour les parents, qui traduisait sa propre situation de soin jusqu’à ce qu’il décède de sa pathologie. L’enfant avait 5 ans. On peut se faire piéger par la présence d’un accompagnant sous prétexte de traduction. Attention aux accompagnants. D’autant plus qu’un patient sourd dans son parcours de vie il a rarement été acteur dans son parcours de soin, il a toujours été accompagné par quelqu’un qui lui a livré un résumé de ce qui s’était dit. Ils ont très rarement prise au cours de la discussion avec ce qui se disait.
Alors, en pratique, comment faire ? Un petit adage, le mieux que rien est l’ennemi du sourd. Un peu de langue des signes, c’est mieux que rien. Comme j’ai passé beaucoup de temps avec le patient, je considère que tout s’est bien passé. Quand on discute avec les sourds, c’est toujours la même chose : je ne comprends rien, on ne m’explique rien.
L’interprète, il doit être diplômé, si l’interprète n’est pas diplômé, aucune garantie de fidélité. Ça a un coût horaire. Tous les services publics ont l’obligation légale d’organiser la présence d’un interprète. Mais quand on est en cabinet de médecine générale, dans une clinique privée, rien n’oblige à ce qu’il y ait la présence de l’interprète. La prestation de compensation du handicap permet au sourd d’avoir 2 ou 3h par mois d’interprétation. - Sylvie Raia :
- Oui à peu près, suivant la distance kilométrique si c’est dans une autre ville, c’est à peu près ça.
- Benoît Mongourdin :
-
Mais c’est une prestation qui est réservée à la vie quotidienne, la vie culturelle, la vie privée. En pratique, il faut prévoir un interprète quand il y a des enjeux. Sur un suivi courant, ce n’est pas forcément nécessaire. Mais quand il faut reprendre l’explication d’un traitement complexe, il faut un interprète.
Un intermédiateur ? Il doit être diplômé, c’est pareil. Il y en a extrêmement peu de disponibles en France, en général ils travaillent dans les unités, il y en a quelques-uns dans le libéral, il en faut partout, dans la justice, le social, l’éducation. Mobiliser un intermédiateur, c’est très compliqué. Certaines unités peuvent mettre à votre disposition un intermédiateur à l’extérieur de l’hôpital.
Se rapprocher de l’uni de soins pour les sourds, c’est pouvoir établir un lien de collaboration avec une unité. Les unités ont aussi des fonctions de conseils pour trouver les bons relais, les bons outils en ville. Sur dérogation de l’assurance maladie, le médecin traitant ne parle pas la langue des signes et le patient sourd peut avoir un suivi en collaboration avec le médecin traitant avec un médecin qui reçoit en langue des signes et les deux travaillent en collaboration. Ne pas hésiter à se renseigner, savoir quelle est l’unité la plus proche, ça peut être un soutien important. Les frais de déplacement des patients sourds vers des unités peuvent être pris en charge par l’Assurance maladie.
Quand on n’a pas d’interprète ou d’intermédiateur, il faut utiliser des outils tels que Santé BD, ce sont des illustrations qui sont extrêmement bien faites, il faut les utiliser largement, ne pas hésiter à dessiner même une chronologie : il se passe ça, on monte dans un taxi, on fait une flèche, on va à l’hôpital. Ce n’est pas infantiliser la communication, ce sont des aides qui sont très fructueuses pour les patients. Avoir un visage expressif, c’est très angoissant pour les sourds d’avoir un professionnel avec un visage inexpressif. - Sylvie Raia :
- C’est très important d’être expressif. Souvent, les patients à l’hôpital vont dire que les infirmières sont froides. Le minimum de donner un sourire, ça soulage le patient. Il va interpréter un froncement de sourcils, ce genre de choses.
- Benoît Mongourdin :
- Désigner les objets, les images, etc., aller chercher aussi des illustrations sur Internet. Mimer, ne pas hésiter à mimer, jamais un sourd ne se moquera d’un professionnel car il s’est mis à quatre pattes pour mimer un geste. Ne surtout pas poser la question : avez-vous compris ? La réponse sera toujours oui. Mais plutôt proposer au patient de reformuler pour voir s’il a bien intégré ce qu’on lui a dit. Et puis, les moyens à utiliser avec très grande précaution.
- Sylvie Raia :
- Souvent, le patient va dire « oui, oui », ça va donner l’impression qu’il y a eu compréhension, c’est aussi une habitude de toujours se taire et de dire « oui » depuis l’enfance. Il faut vraiment vérifier auprès du patient en lui reposant la question de ce qu’il a compris. C’est à nous en tant que professionnels de santé de s’adapter au patient pour voir ce qu’il a pu comprendre.
- Benoît Mongourdin :
- Et puis les moyens à utiliser avec prudence, c’est l’écrit, on a vu, attention. Les sourds âgés ont une magnifique écriture cursive mais un niveau de français parfois très faible. La lecture labiale, c’est beaucoup de suppléance mentale. Les accompagnants attention. Il faut garder en tête que ce sont des moyens d’urgence qui ne sont pas satisfaisants.
Merci de votre attention. - Sylvie Raia :
- Merci de votre écoute.
- Stéphanie Baz :
- Merci à vous, quel duo de choc ! Nous vous remercions pour cette très complète présentation. Nous avons eu beaucoup de questions, de commentaires, de propositions et d’interrogations pendant ce webinaire, je vais remonter les principales sans oublier de remercier Sylvie pour son sourire, ce que vous disiez est très important.
Nous avons plusieurs personnes qui ont insisté sur les spécificités à mettre en place pour les personnes malentendantes, des interrogations sur le métier de codeur. Tout cela se retrouve sur le site Handi Connect dans les fiches sur le handicap auditif. Je vous invite à aller voir sur le site. Nous répondons aux besoins de définition, nous donnons des mises en situation, des conseils pratiques pour les mises en situation de ce type. Nous avons également plusieurs personnes qui ont fait remonter l’information sur le fait que des personnes ne veulent pas se faire appareillé. Dans ce cas-là vous pouvez consulter la toute nouvelle Santé BD sur l’appareillage. J’ai une question pour chacun d’entre vous, il nous reste 5 minutes. A commencer par Sylvie, est-ce que vous êtes tenue en tant qu’intermédiatrice et est-ce que les interprètes sont soumis au secret médical ? - Sylvie Raia :
- Oui. Tout à fait. On est soumis au secret médical au sein de l’unité. Dans chaque unité il y a des fonctionnements qui peuvent être différents. Il y a des interprètes qui sont soumis au secret médical. Ça peut arriver aux interprètes de traduire dans d’autres situations et de devoir être neutres et de ne pas transmettre les informations qu’ils ont.
- Benoît Mongourdin :
- Je fais un complément, tous les professionnels des unités sont soumis au secret professionnel, les interprètes, les médecins, les intermédiateurs, n’importe quel professionnel de soin. C’est en général une grande découverte pour les patients sourds. La première chose qu’on fait pour un patient, on lui dit : Ici, ce qui circule porte fermée, ensuite la porte s’ouvre, on ne dit plus rien. On est liés au secret professionnel. Les sourds découvrent ça, c’est la découverte du secret professionnel.
- Stéphanie Baz :
- Merci beaucoup. Une question pour Bénédicte André concernant les casques à transmission osseuse, peuvent-ils améliorer le déficit de la transmission du son ?
- Bénédicte André :
- Pour les personnes en surdité de transmission, oui. Mais pour cela, il faut évaluer le profil et la trajectoire de cette personne. Je vous conseille de voir un ergonome pour avoir des conseils, comment aménager si c’est pour écouter de la musique, pour son outil de travail ou dans le cadre d’une consultation médicale.
- Stéphanie Baz :
- Merci pour cette réponse. Et enfin Benoît Mongourdin, j’aimerais que vous reveniez si possible sur le problème de distance. On a eu pas mal d’interventions là-dessus, quand les UASS sont éloignées, à plus de deux heures de route.
- Benoît Mongourdin :
- C’est la question qui se pose, déjà rentrer en contact avec l’unité, voir s’ils sont OK pour recevoir le patient. Ensuite, se pose la question de la prise en charge financière des déplacements. Pour cela, les patients en ALD sont pris en charge complètement pour les frais de transports. Les patients qui ne sont pas en ALD à 100 %, on a une solution qui est de faire une demande d’ALD pour des soins prolongés de plus de 6 mois. Il faut expliquer en général aux caisses d’Assurance maladie, on explique que le patient est sourd, qu’il a besoin de soins adaptés, sinon il ne sera pas soigné. Il y a une prise en charge qui est possible pour des consultations. Ce sont les deux solutions de prise en charge financière.
- Stéphanie Baz :
- Merci beaucoup pour cette réponse. Toutes les questions auront des réponses, nous préparons un document avec ces réponses et toutes les ressources partagées pendant ce webinaire. Je partage une dernière fois mon écran pour vous présenter la Santé BD sur la téléconsultation qui peut servir et vous avez aussi la fiche Handi Connect. Le Docteur Mongourdin est contributeur de ces ressources. Nous ne ferions rien sans nos partenaires de l’association Coactis Santé.
Je vous remercie tous pour votre participation. Je vous donne rendez-vous sur le prochain webinaire en novembre.
Merci à tous les participants, merci à l’équipe technique, merci à toute l’équipe de Coactis Santé, un grand merci à nos trois intervenants du jour. A très bientôt.